Quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé dîtes-vous:
» Nous sommes des serviteurs quelconques, nous avons fait que notre devoir » (Luc 17, 10)
Le dimanche 26 novembre 2023 en la cathédrale d’Elne, Monseigneur Thierry Scherrer Evêque de Perpignan – Elne a ordonné diacre permanent notre frère Yann Marlic.
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L’homélie de Monseigneur Thierry Scherrer
Frères et sœurs, chers amis,
Cette fresque du jugement dernier que la solennité du Christ-Roi déploie sous nos regards de croyants vient éclairer d’une lumière intense l’événement qui nous rassemble ce soir : l’entrée de nos deux frères Alexandre et Yann, par le sacrement de l’ordre, dans la triple diaconie de la liturgie, de la Parole, et de la charité. Dans cette page haute en couleurs de l’évangile de saint Matthieu, trois choses retiennent singulièrement mon attention que l’on peut rattacher de près, me semble-t-il, à la mission des diacres.
- Ce qui me marque d’abord, c’est cette parole de Jésus : « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait ».L’identification entre le Christ et chacun de « ces petits » qu’il appelle « ses frères » est ici tout simplement inouïe. Le Fils de Dieu s’est tellement uni à notre humanité qu’il est personnellement concerné par le sort de chacune et chacun d’entre nous, la solidarité est totale. Cette parole nous révèle en même temps que le Christ est présent dans la personne des pauvres, qu’il est caché pour ainsi dire sous les espèces du pauvre, de même qu’à chaque messe il vient à nous, caché dans les espèces eucharistiques du pain et du vin. Le pauvre est donc le sacrement du Christ, sa présence réelle au cœur de notre monde. On se souvient de ce que fit Blaise Pascal, le philosophe, à l’heure de quitter ce monde. Dans les derniers jours de sa maladie, n’ayant plus la force de se rendre à la messe et de communier, il demanda qu’on amène auprès de lui un pauvre malade : « Ne pouvant pas communier dans le chef [le Christ],dit-il à sa sœur, je voudrais bien communier dans les membres. » C’est magnifique ! Comment ne pas voir dans les diacres, justement, les serviteurs de ces « plus petits » qui sont les préférés de Jésus ?
- Ce qui me marque également dans cet évangile, c’est son pragmatisme, le caractère très concret de ce que Jésus demande à ses disciples. Jésus nous convoque et nous convie ici à l’impératif de l’amour, ni plus ni mois. Un amour qui ne se paie pas de mots, mais qui se prouve à travers le service humble et désintéressé des plus petits. Il n’est d’ailleurs pas question dans cet évangile d’inciter à des actes héroïques ou spectaculaires qui seraient comme hors de notre portée. Ce que Jésus nous demande est aussi simple et aussi ordinaire que de nourrir un affamé, de vêtir un démuni, d’accueillir un étranger, de visiter un malade ou un prisonnier. Voilà ce qui fait l’étoffe de la sainteté chrétienne vécue simplement au jour le jour. Il y a tant d’amour à donner autour de nous ! Par le sacrement qui les configure au Christ-Serviteur, les diacres sont en quelque sorte le vivant rappel pour tous de cette urgence de l’amour qui doit nous porter à multiplier les œuvres de miséricorde au sein même de nos familles, de nos communautés, de nos paroisses, de nos lieux de travail. Vous en savez quelque chose, Alexandre, vous qui avez mis, durant de longues années, vos compétences de menuisier-charpentier-couvreur au service de la réinsertion sociale de personnes en difficulté, des jeunes en particulier.
- La troisième chose qui me touche, c’est l’humilité des « bénis de Dieu », de ceux qui ont entendu cet appel à aimer et se sont efforcés d’y répondre : « Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ? »Ils sont surpris, tout étonnés que le Roi puisse les interpeller. Le propre de l’amour, c’est d’être dans l’ignorance du bien qu’il réalise ; le propre de l’amour, c’est de s’effacer derrière le don qu’il fait de lui-même. C’est sa marque de fabrique, le signe de sa pureté, de sa gratuité absolue. C’est le signe qui authentifie de la manière la plus sûre la présence et l’action de l’Esprit Saint dans l’existence d’un chrétien. « Le diaconat, c’est l’école de l’humilité », me disiez-vous très justement, Yann, lorsque nous nous sommes rencontrés la première fois, le 22 juin dernier. Cela appelle une attention singulière aux autres, un sens de l’empathie et de l’écoute. Il s’agit d’apprendre à voir les gens avec les yeux de Dieu, en les regardant à hauteur de visage, non pas en surplomb comme ceux qui toisent et qui dominent, mais de bas en haut, comme le Christ, lorsqu’il a lavé les pieds de ses disciples au soir de la dernière Cène. C’est bien cela que nous révèle la royauté de Jésus célébrée en ce jour. La royauté de Jésus n’a rien d’un pouvoir qui écrase, c’est au contraire, pour les hommes sur lesquels elle s’exerce, une force extraordinaire de libération et d’amour. C’est bien pour cela que chaque jour, dans la prière du Notre Père, nous demandons que son « règne vienne »: la royauté, le règne de Jésus convertit et transforme les cœurs par la force de l’amour. Lorsque nous contemplons le Roi-Jésus, nous comprenons – et c’est encore vous, Yann, qui me l’avez écrit – que « ce n’est pas le pouvoir qui compte, mais l’Amour qui se dévoue et se donne ».
Chers Alexandre et Yann, notre Église est heureuse ce soir de vous voir grossir les rangs de cette belle fraternité diaconale qui fait la joie et la fierté de notre diocèse. Tandis que vous allez vous prosterner à terre, dans quelques instants, en signe d’un abandon total entre les mains de Dieu, je voudrais vous dire encore ceci : ce que vous donnez aujourd’hui à Dieu et à l’Église en vous mettant au service de vos frères n’est pas retranché aux vôtres, à votre famille. Bien au contraire, cela va leur être redonné d’une manière plus grande et plus profonde à travers l’offrande que vous faites de tout vous-même en cet instant solennel et public de votre ordination. Je le dis d’une manière particulière à vos épouses respectives Dominique et Muriel puisque c’est à elles, d’abord, que vous vous êtes donnés par un don total et irrévocable dans le beau et grand sacrement de mariage. Dès lors, précisément, quelle ordination diaconale est conférée à des hommes mariés, toute opposition entre votre nouveau ministère et le sacrement de mariage que vous avez déjà reçu s’en trouve exclue. Il n’y a pas de concurrence possible. L’un et l’autre sont appelés à s’approfondir et à se féconder mutuellement. On peut dire d’ailleurs, que le premier champ relationnel que le diacre est appelé à évangéliser, c’est son couple et sa famille. J’ai encore à l’esprit cette parole d’une épouse de diacre dont le mari a été ordonné il y a de nombreuses années déjà. « L’Église me prend mon mari, disait-elle, mais elle me le rend avec un plus. Et cela change profondément ma relation d’épouse ». Voilà qui devrait à la fois vous rassurer et vous encourager.
Permettez-moi, pour conclure, de citer ces lignes lumineuses de saint Charles de Foucauld. Elles traduisent magnifiquement, me semble-t-il, ce qui caractérise le ministère des diacres, serviteurs du Christ : « Mon apostolat doit être l’apostolat de la bonté. En me voyant, on doit se dire : ‘Puisque cet homme est si bon, sa religion doit être bonne’. Et si l’on me demande pourquoi je suis doux et bon, je dois dire : ‘Parce que je suis le serviteur d’un bien meilleur que moi. Si vous saviez combien est bon, mon maître Jésus !’ Je voudrais être assez bon pour qu’on dise : ‘Si tel est le serviteur, comment donc est le maître ?’Me faire tout à tous : rire avec ceux qui rient, pleurer avec ceux qui pleurent, pour les amener tous à Jésus. Me mettre avec condescendance à la portée de tous, pour les attirer tous à Jésus. Tout notre être doit être une prédication vivante, un reflet de Jésus, un parfum de Jésus, quelque chose qui crie Jésus, qui fasse voir Jésus, qui brille comme une image de Jésus ». Qu’il en soit ainsi pour nos deux frères Alexandre et Yann, investis en ce jour de ce beau ministère de diacres. Qu’il en soit ainsi pour chacun de nous. Amen.
✠ Thierry Scherrer, Évêque de Perpignan-Elne